Liquidation préférentielle, aussi utile que controversée

La vie d’une société est rarement un long fleuve tranquille. C’est particulièrement le cas pour une société dont l’activité n’est pas encore mature. Alors, il peut arriver qu’une société qui a déjà levé des fonds ait besoin d’en relever dans une période peu propice d’un point de vue macro-économique. En effet, si les fondateurs ont la maîtrise de leur cash-burn (la trésorerie nette dépensée), ils ne peuvent pas prévoir le contexte économique de la future période où ils devront lever des fonds auprès d’investisseurs institutionnels. Ainsi, même si la société s’est développée et qu’elle affiche de bons fondamentaux, des facteurs exogènes impactent positivement ou négativement leurs espérances de valorisation. C’est là que des mécaniques de protection entrent en jeu pour les investisseurs en capital-risque. Afin de se protéger à la baisse contre une valorisation de cession plus faible que leur propre prix d’entrée dans le cadre d’une augmentation de capital, les investisseurs en venture ont inventé un outil financier et juridique : la liquidation préférentielle.

Un exemple pour illustrer la liquidation préférentielle

Prenons un exemple, une société X lève 10 millions d’euros à une valorisation post-money (donc 40 millions d’euros pré-money soit avant réalisation de l’augmentation de capital de 10 millions d’euros) de 50 millions d’euros. Les nouveaux entrants, en actions ordinaires, possèdent donc 20% du capital social de la startup en question.

Au bout de 2 ans, la société a utilisé tous les fonds levés pour financer sa croissance. Imaginons alors que depuis trois mois, le contexte économique se dégrade et que la société ait plus de chance de se vendre à un industriel plutôt que de relever des fonds auprès d’investisseurs professionnels. Après un processus de M&A et des discussions avec plusieurs corporates, la société finit par signer une offre d’acquisition à hauteur de 20 millions d’euros. Ainsi, les derniers investisseurs vont encaisser 4 millions d’euros de produit de cession (20M€ x 20%) pour une mise initiale de 10 millions d’euros. 

Maintenant, si nous intégrons la liquidation préférentielle dans l’équation, vous allez constater que les chiffres ne sont plus du tout les mêmes. Ce droit est attaché aux actions de préférence (il en est même l’essence), inscrites dans les statuts ou le pacte d’actionnaires de la société. Il se matérialise par une promesse de la société de rendre préférentiellement le numéraire apporté par l’investisseur selon différents rangs. Généralement, c’est l’ordre d’arrivée des investisseurs au sein du capital de la société qui structure la préférence. Ce qui signifie que les derniers entrants seront toujours prioritaires sur les premiers. Cela se justifie, dans la théorie, par le besoin accru de protection au fur et à mesure des levées de fonds compte tenu de la hausse de la valorisation payée par lesdits investisseurs. On peut voir cette clause comme une sorte d’arrangement qui dirait “je suis prêt à te donner la valorisation que tu veux en tant que fondateur mais je me protège car on ne sait jamais”. 

En réalité, la société devient de moins en moins risquée au fil des années. On peut alors se demander d’où vient ce besoin de protection supplémentaire? Ne vaudrait-il pas mieux, pour les investisseurs, payer le bon prix plutôt que de payer un prix surévalué sous couvert de protection avec la liquidation préférentielle? Depuis quelques mois, les tensions naissantes sur le marché des levées de fonds, où les investisseurs professionnels sont dorénavant frileux après les abus de 2020-2021, ont favorisé les structurations de liquidation préférentielle agressives en ajoutant une rémunération garantie “à la scandinave” où cette pratique est ancrée (en multiple du montant souscrit par les investisseurs, voire en TRI) afin de prendre en compte le facteur de temps de détention des actions acquises. Ce type de waterfall (cascade de préférences) n’était plus en vogue depuis 10 ans en raison du contexte de bull market.

La liquidation préférentielle à multiple pour les derniers entrants

Reprenons l’exemple précédent en y ajoutant le droit à la liquidation préférentielle à multiple pour les derniers entrants. La société a donc toujours levé ses 10 millions d’euros sur une valorisation après investissement (post-money) de 50 millions d’euros. Les investisseurs ont, cette fois, estimé qu’il était nécessaire d’introduire une liquidation préférentielle de x1,5. Grâce à l’introduction de la liquidation préférentielle à ce tour de financement, l’investisseur réussit à se protéger en cas d’assombrissement de l’avenir et de maintenir “artificiellement” la valorisation de son investissement. En effet, il est crucial de comprendre qu’une société valorisée 50 millions d’euros sans clause de liquidation préférentielle n’a pas la même valeur intrinsèque qu’une société valorisée 50 millions d’euros mais dont certains investisseurs possèdent des actions de préférence. Dans le cas d’espèce mentionné précédemment, si la société est toujours cédée 20 millions d’euros, alors les derniers entrants ayant investi 10 millions d’euros vont percevoir 15 millions d’euros prioritairement sur la vente (10M€ x 1,5). Les autres actionnaires, notamment les investisseurs du tour précédent, et à la fin les titulaires d’actions ordinaires (fondateurs et salariés généralement) se partageront les 5 millions d’euros restants. 

Dans le contexte actuel de tension de marché coté VC, il n’est pas rare de voir que la valorisation de certaines startups soit composée à plus de 60% de la valeur de la liquidation préférentielle octroyée à certains investisseurs. Nous avons même pu analyser des liquidations préférentielles conférant plus de 90% (et une super à 100%) de la valorisation post-money aux investisseurs professionnels.

Quatre scenarii de sortie en plus

Finissons cet article en prenant en considération quatre scenarii de sortie en plus de l’exemple didactique présenté ci-avant :

  1. La société est valorisée 500 millions d’euros lors d’une entrée en bourse ou lors d’une opération de M&A, les investisseurs de série A réalisent un multiple supérieur à ceux de la série B qui enregistrent un multiple de x10 sur leur investissement.
  2. La société est valorisée 57,5 millions d’euros lors d’une opération de M&A, les investisseurs de la série B vont réaliser un multiple de x1,5 grâce à leur clause de liquidation préférentielle même si la valorisation de la société n’est en hausse que de 15%. Les investisseurs de la série A réaliseront donc un multiple théorique de x1,15. Cependant, ils ne le toucheront pas du fait que les investisseurs de la série B sont servis en priorité et grignotent une partie du prix de cession supérieur à leur prorata au sein du capital. Les derniers investisseurs font donc un multiple supérieur aux précédents investisseurs.
  3. La société est valorisée à 30 millions d’euros lors d’une opération de M&A, les investisseurs de la série B réaliseront toujours un multiple de x1,5, soit un payback de 15 millions d’euros (vous noterez que leur performance est la même qu’en cas de cession à 20 millions d’euros de l’exemple précédent). Les autres investisseurs ne toucheront probablement rien.
  4. La société dépose le bilan au tribunal de commerce, tous les investisseurs (et plus largement les actionnaires) perdent les montants qu’ils ont apportés lors de leurs diverses souscriptions.

Conclusion

Nous espérons que vous garderez les deux éléments essentiels de cette chronique:

  1. La liquidation préférentielle est un formidable outil marketing permettant de protéger si l’on a pas payé la bonne valorisation au moment de son entrée ;
  2. La liquidation préférentielle peut permettre de gonfler artificiellement une valorisation tout en mettant en place la mécanique de protection des préférences . Cependant, cette protection se fait au détriment des autres investisseurs, notamment des investisseurs plus anciens, et les titulaires d’actions ordinaires.

La liquidation préférentielle est un outil peu connu du grand public, Caption a développé une expertise afin d’analyser les equity stories des sociétés, de calculer les pourcentages de liquidation préférentielle. Cette étape essentielle fait partie du processus de sélection des deals proposés sur la plateforme en raison de l’impact qu’une telle clause peut avoir sur l’attractivité d’une opportunité d’investissement.

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