Rencontre avec Gérard Moulin : du pricing power à 500 millions d’euros sous gestion

« Le prix n’est pas un sujet quand la barrière à l’entrée est solide. » Cette maxime, Gérard Moulin l’a faite sienne il y a plus de vingt ans, alors qu’il développait sa théorie du pricing power. Une vision qui l’a mené à transformer un fonds de 400 000€ en un mastodonte de 500 millions d’euros d’actifs sous gestion, le classant parmi les 15 meilleurs gérants en Europe pendant 10 ans. Des ateliers sur-mesure de Ferrari aux magasins Essilor, ce gérant atypique a su repérer les entreprises capables d’imposer leurs prix au marché. Aujourd’hui investisseur privé et business angel, il nous livre les secrets d’une méthode qui a fait ses preuves à travers les cycles. Rencontre avec un homme qui a fait de la résilience sa marque de fabrique, des salles de marché au private equity.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Gérard Moulin : Je suis naturellement curieux d’esprit et je n’aime pas la routine. J’essaie constamment de comprendre et de m’adapter à mon environnement, dans tous les domaines. Je suis tenace, je n’abandonne pas. Pour ce qui est de mes défauts, ce sera pour une prochaine interview (rires).

Quel a été votre parcours professionnel ?

J’ai exercé dans de nombreux domaines : entreprise, sociétés de service, en tant qu’ingénieur commercial et dans le contrôle de gestion. Mais ma véritable passion, c’est l’investissement. J’ai passé plusieurs décennies dans l’asset management, créant deux fonds dans deux établissements différents. J’avais développé une méthode de sélection de valeurs à double niveau : une dizaine de critères pour la sélection des valeurs, et contrairement au private equity, une gestion active des pondérations puisqu’il n’y a pas de table de mortalité en asset management. C’était une magnifique aventure qui a duré presque quinze ans, où le fonds est passé de 400 000€ à 500 millions d’euros. Le succès de cette collecte repose sur l’originalité de l’approche combinée à de solides performances. 

Comment gère-t-on au quotidien un fonds qui connaît une telle croissance ?

Dans l’asset management, les seuils sont très importants. Les sélectionneurs de fonds commencent à vous regarder à partir de 20 millions, puis 50, puis 100, et après c’est exponentiel. De 2016 à 2022, le fonds est passé de 160 à 500 millions d’euros. J’ai vécu des moments exceptionnels, avec de nombreux appels entrants et des tickets de plusieurs millions, après avoir traversé de longues périodes de stagnation. Mais j’étais convaincu de tenir quelque chose d’important, et c’est bien là l’essentiel.

L’avantage de l’asset management, c’est son modèle scalable. Que vous gériez 10 millions ou 500 millions, le travail quotidien reste sensiblement le même : les lignes grossissent mais la charge opérationnelle évolue peu. C’est très différent d’une entreprise classique où l’accroissement de la taille implique une restructuration complète des coûts.

Pour l’expansion internationale, nous nous sommes concentrés sur les marchés francophones. La gestion française a une excellente réputation à l’international, mais attaquer les marchés anglo-saxons nécessite d’être une grosse structure. Nous avons donc développé une force commerciale ciblée sur le Luxembourg, Monaco, la Belgique et la Suisse. Avec seulement deux personnes dédiées et un travail minutieux de référencement du fonds dans chaque pays, nous avons créé une véritable machine à cash. Cette approche ciblée nous a permis d’atteindre 500 millions d’encours sans faire exploser nos coûts de développement.

« J’étais le deuxième actionnaire français de Ferrari ! »

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre méthode de pricing power ?

Il y a une vingtaine d’années, alors que je faisais de la gestion profilée dans un établissement anglo-saxon à Paris, j’ai remarqué un schéma récurrent : certaines sociétés cotées affichaient des caractéristiques nettement supérieures à la moyenne en termes de ROE et de marge d’exploitation, et ce quel que soit le cycle économique.

En creusant, j’ai identifié leur point commun : elles avaient toutes des barrières à l’entrée solides, que ce soit des savoir-faire discriminants, une marque forte, ou parfois une situation oligopolistique. Ces barrières leur permettaient de dire à leurs clients « le prix n’est pas le sujet principal de nos discussions ». J’ai fait un backtest sur 25 valeurs européennes qui confirmait une surperformance spectaculaire.

La clé, c’est que ces barrières doivent être pérennes. C’est mon juge de paix : à partir de là, une société peut se développer sans craindre qu’un concurrent la démonte. Prenez Essilor par exemple : ils ont des barrières technologiques, un réseau de distribution puissant dans la lunetterie, et c’est une des entreprises où tout le monde veut travailler. C’est un cercle vertueux : quand les barrières à l’entrée sont solides, l’entreprise peut investir dans la formation, créer de la sérénité pour ses salariés, et continuer à se développer.

Pouvez-vous nous donner un exemple de pricing power ?

Ferrari est un cas d’école fascinant. Lors de son introduction en bourse en 2015, la capitalisation était de 10 milliards d’euros, avec un cours à 50€. À l’époque, le titre était uniquement suivi par des analystes automobiles qui le jugeaient trop cher sur tous les ratios. J’étais le deuxième actionnaire français avec seulement 10 millions d’euros investis, ce qui montrait à quel point le dossier était méconnu en France.

Je me souviens de ma visite à Maranello, au siège de Ferrari. Le pricing power était visible partout : l’atelier sur-mesure où les clients n’hésitent pas à ajouter 20 000 à 50 000€ d’options, le circuit privé où certains clients font entretenir leur F1, l’atelier de certification où cinq ingénieurs démontent entièrement une 250 GTO vendue 25 millions aux enchères pour authentifier chaque pièce… La chaîne de montage ne produit que 20-25 voitures par jour, soit 10 000 par an, avec des employés passionnés.

Quand j’ai rencontré le CFO, je lui ai fait remarquer que toutes les grandes maisons comme Goldman Sachs classaient Ferrari dans le secteur automobile. Il m’a répondu que c’était exactement son défi : faire comprendre que Ferrari était une marque de luxe. Aujourd’hui, la société est valorisée 80 milliards d’euros, l’un des plus beaux parcours du secteur du luxe. C’est un parfait exemple de décalage de perception : une notoriété mondiale phénoménale – c’est la 30e marque la plus connue au monde – mais un dossier d’investissement qui était totalement sous-évalué.

Comment gérez-vous votre patrimoine personnel aujourd’hui ?

Mon approche est la suivante : j’ai une majorité de mon épargne sécurisée et je réserve un pourcentage relativement faible à de l’hyper croissance. Mon objectif est de faire 7-8% par an sur l’ensemble. Pour la partie plus dynamique, je me tourne notamment vers le private equity, où je découvre un monde nouveau avec des perspectives de rendement à deux chiffres sur 8-10 ans.

J’ai aussi une approche patrimoniale « plaisir » avec des investissements dans les œuvres d’art et les voitures de collection, des actifs dont je sais que la valeur sera au moins stable à terme. J’adore suivre les ventes aux enchères sur Drouot Online. C’est une mine d’or d’informations gratuite qui permet de voir la rencontre de l’offre et de la demande pour différents types d’actifs patrimoniaux. En suivant ces ventes sur plusieurs années, on peut identifier les valeurs sûres qui résistent même pendant les périodes de crise. Par exemple, que ce soit certains bronzes d’artistes reconnus ou encore des tableaux de Buffet, ce sont des valeurs qui se maintiennent. Ces derniers se vendent toujours entre 50 000 et 80 000 euros par toile, même pendant les crashs. Ce sont des actifs qui, comme les entreprises à fort pricing power, inspirent confiance sur le long terme.

Comment abordez-vous l’investissement en private equity aujourd’hui ?

La partie la plus dynamique de mon portefeuille est désormais orientée vers le private equity. N’ayant pas encore toutes les compétences dans ce domaine, notamment pour investir dans les meilleures startups, j’ai investi dans le FPCI Blueberry, le fonds du groupe Caption. Je fais aussi quelques prises de participation directes, mais uniquement dans des sociétés dont le business model est facilement compréhensible. Par exemple, j’ai investi dans le secteur des macro-algues où la demande croît de 10% par an face à une offre qui n’augmente que de 0,4%.

Ce qui est intéressant dans le private equity par rapport à la gestion d’actifs, c’est la proximité intellectuelle entre l’investisseur et le startuper. Ayant été moi-même intrapreneur lors du développement de mes fonds, je sais ce que c’est que d’assumer de multiples responsabilités, de devoir convaincre, marteler, éduquer.

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’investir dans le fonds Blueberry ?

Deux choses m’ont particulièrement séduit. D’abord, les gérants. Leur ouverture d’esprit et leur compréhension de la vastitude de l’économie, leur capacité à détecter les potentiels dans un monde qui bouge de plus en plus vite. Ensuite, leur transparence. Ayant fait du reporting toute ma vie dans l’asset management, je sais que c’est souvent une corvée. Chez Clint Capital, j’apprécie leur transparence sur l’actualité des entreprises et leurs rencontres avec les sociétés du portefeuille.

Je pense d’ailleurs que chaque investisseur a intérêt à contribuer au succès de la collecte en ouvrant son carnet d’adresses. La cooptation est essentielle, à condition que toute la chaîne de confiance soit présente. C’est pourquoi j’ai personnellement ouvert mon réseau à des dirigeants d’entreprises et des gestionnaires que je connais bien, qui ont rapidement répondu présent.

Avez-vous des recommandations culturelles à partager ?

Sur une note plus personnelle, je me repasse tous les ans la série Downton Abbey. Cela peut surprendre, mais j’y retrouve des valeurs qui me sont chères, notamment le respect, une qualité qui tend à s’évaporer dans nos sociétés actuelles. Dans un autre registre, je regarde régulièrement les séries sur la famille Kennedy. En termes de résilience, c’est une famille qui force l’admiration malgré les épreuves traversées. Ces histoires me « boostent » et me rappellent qu’on peut se relever de tout.

💡 Cet article vous a intéressé ?

Pour plus d'informations, visitez Caption et découvrez nos offres d'investissement. Du Private Equity aux objets de collection, Caption vous ouvre des opportunités d'investissement uniques : start-ups, montres, oeuvres d'art, parts de fonds, et plus encore.