Rencontre avec Olivier Bernardi, avocat spécialiste en droit bancaire et financier

Dans un contexte où la finance traditionnelle et l’innovation technologique se confrontent et se complètent, la régulation joue un rôle crucial dans l’équilibre de l’écosystème financier. Olivier Bernardi, avocat associé chez Gide Loyrette Nouel, l’un des plus prestigieux cabinets d’avocats français, nous livre son regard aiguisé sur l’évolution du secteur. Fort d’une expérience unique à la Direction du Trésor pendant la crise de 2008 et d’une pratique approfondie du droit bancaire et financier depuis plus de 15 ans, il partage sa vision sur les enjeux réglementaires des fintech et l’avenir du secteur financier.
Comment avez-vous débuté votre carrière et qu’est-ce qui vous a conduit vers le droit ?
Olivier Bernardi : J’ai grandi à Fontainebleau et très tôt, j’ai su que je voulais faire du droit. J’étais passionné par les films et séries judiciaires. À l’origine, j’hésitais entre deux voies : soit la police, notamment la brigade financière pour tout ce qui touchait à la délinquance en col blanc, soit le métier d’avocat. Cette orientation était peut-être influencée par mon père, qui a exercé en police judiciaire pendant une grande partie de sa carrière. Finalement, c’est vers le métier d’avocat que je me suis tourné, attiré par son indépendance et sa liberté d’exercice.
Votre premier poste était au ministère des Finances. Comment s’est passée cette expérience ?
J’ai commencé par un stage à la Direction du Trésor à Bercy, au bureau des marchés financiers. Par la suite, pendant ma préparation à l’examen du barreau, j’ai reçu un appel du bureau des affaires bancaires me proposant de les rejoindre. C’était une opportunité que j’ai saisie, et j’y suis resté de 2006 à 2008. Mon rôle consistait à élaborer la réglementation bancaire, à négocier les directives européennes à Bruxelles et à les transposer en droit français. J’ai eu la chance de vivre la crise financière de 2008 de l’intérieur, ce qui a été une expérience extraordinaire car ce genre d’événement n’arrive en moyenne qu’une fois par siècle.
Comment êtes-vous arrivé chez Gide ?
C’est une rencontre avec Jean-Guillaume de Tocqueville, alors associé chez Gide, qui a tout déclenché. Je connaissais le cabinet Gide de réputation et j’avais pu côtoyer certains avocats lorsque je travaillais au Trésor mais le contact humain a été déterminant dans mon choix. Gide est l’un des plus vieux cabinets d’avocats de France, créé en 1920 par Pierre Gide, cousin d’André Gide. Aujourd’hui, le cabinet compte environ 500 avocats, dont 350 à Paris, et couvre l’ensemble du droit des affaires.
Pour ma part, depuis mes débuts dans le cabinet, j’ai suivi un parcours assez classique, passant de collaborateur à associé. Ce qui me plaît particulièrement dans ma pratique, c’est sa grande diversité. Je fais à la fois du conseil et du contentieux, ce qui permet d’avoir une vision très complète des enjeux. Il n’y a jamais de routine : chaque dossier est différent, chaque client a ses spécificités. Cette variété est vraiment ce qui rend ce métier passionnant.
Quels sont les dossiers marquants sur lesquels vous avez travaillé ?
Mon premier dossier marquant chez Gide a été l’affaire Madoff, une expérience qui a profondément marqué mes débuts dans le cabinet. Je suis arrivé le 2 janvier 2009, dans un contexte particulièrement tendu : Bernard Madoff venait de se livrer au FBI le 12 décembre 2008, provoquant un séisme sans précédent dans le monde financier. Le timing était presque surréaliste – mes premiers pas chez Gide coïncidaient avec la révélation de la plus grande escroquerie financière de l’histoire. C’était une fraude d’une ampleur vertigineuse : un schéma de Ponzi sophistiqué qui avait gonflé jusqu’à atteindre environ 65 milliards de dollars, au détriment d’investisseurs du monde entier. Du jour au lendemain, tout s’est effondré quand Madoff a révélé que son fonds d’investissement était vide, que l’argent n’existait plus.
Les semaines qui ont suivi ont été intenses : nous avons dû gérer de multiples demandes d’institutions financières, certaines directement exposées à la faillite frauduleuse de Bernard Madoff, d’autres indirectement impactées par des actions judiciaires menées par leurs propres clients. La dimension internationale de l’affaire en faisait un dossier particulièrement complexe et passionnant. Nous devions naviguer entre différentes juridictions, suivre les procès aux États-Unis, et surtout, accompagner nos clients dans ce qui s’est révélé être la plus grande fraude financière de l’histoire. C’était une immersion totale dans le monde du contentieux financier international, avec des enjeux colossaux et des répercussions qui se font encore sentir aujourd’hui. Cette affaire m’a permis de comprendre l’importance cruciale des due diligences et des mécanismes de contrôle dans le secteur financier.
J’ai également beaucoup travaillé sur le dossier des crédits toxiques aux collectivités locales entre 2013 et 2018. Ces crédits, dont les taux étaient indexés sur la parité euro – franc suisse, ont créé des situations très complexes suite à la crise financière et aux interventions des banques centrales. Nous avons aussi traité de nombreux dossiers de manipulation de cours, notamment sur l’Euribor, et de rumeurs sur les marchés.
Comment voyez-vous l’évolution du secteur financier ?
Il y a eu une vraie révolution. Quand j’ai commencé, le paysage était simple : il y avait les banques, les sociétés financières (devenues les sociétés de financement) et c’était à peu près tout. L’Union européenne a voulu ouvrir le marché à la concurrence, ce qui a conduit à l’émergence de nouveaux acteurs, tels que les fintech, qui s’appuient beaucoup sur la technologie pour proposer des services plus digitaux et moins coûteux. Les établissements traditionnels ont bien compris cette évolution et cherchent à s’adapter. Faire évoluer des systèmes informatiques créés au début de l’ère informatique au 20ème siècle n’est pas aisé et représente un coût significatif, sans parler du risque opérationnel que cela représente. Certaines banques traditionnelles préfèrent alors créer leurs propres filiales « fintech », ou racheter des acteurs existants.
Il y a un adage qui dit que les États-Unis innovent, l’Asie produit et l’Europe régule. Ce n’est pas totalement faux.
Quelle est votre vision de la régulation européenne par rapport aux États-Unis ?
Il y a un adage qui dit que les États-Unis innovent, l’Asie produit et l’Europe régule. Ce n’est pas totalement faux, mais la réalité est plus complexe.
Concernant les États-Unis, il faut d’abord comprendre que leur système réglementaire est loin d’être aussi simple qu’on pourrait le penser. C’est un environnement extrêmement fragmenté, avec différentes strates de régulation entre les États fédérés et l’État fédéral. Il y a une multitude d’agences gouvernementales qui surveillent et régulent différents aspects du secteur financier. Cette complexité fait que s’implanter aux États-Unis peut rapidement devenir un véritable parcours du combattant.
La perception d’un marché américain unifié et facilement accessible est en partie un mythe. Certes, ils bénéficient d’avantages indéniables : une langue unique qui simplifie considérablement la commercialisation des produits, un marché d’une profondeur exceptionnelle, une culture entrepreneuriale forte. Mais la réalité réglementaire est plus complexe : chaque État a ses propres règles, ses propres exigences, ce qui nécessite souvent une analyse approfondie et des adaptations spécifiques.
La différence fondamentale réside dans la philosophie réglementaire. Les États-Unis adoptent généralement une approche de « laisser-faire » initial : ils permettent l’innovation et l’expérimentation, quitte à intervenir plus tard si des problèmes surviennent. Cette régulation a posteriori peut être extrêmement sévère, avec des sanctions financières qui peuvent atteindre des montants astronomiques. Il y a aussi une dimension punitive dans leur système juridique, avec des dommages et intérêts qui peuvent largement dépasser le préjudice réel (mécanisme des “punitive damages”, qui n’existent pas dans les systèmes de droit romano-civiliste).
En Europe, nous avons une approche radicalement différente, plus préventive. Nous préférons encadrer les activités en amont pour éviter les dérives.
Les deux systèmes ont leurs forces et leurs faiblesses. L’approche américaine favorise peut-être davantage l’innovation et la prise de risque, mais peut conduire à des crises majeures. L’approche européenne est plus prudente et stable, mais peut parfois freiner l’innovation. Je pense que l’efficience et l’équilibre se situent probablement entre les deux.
Comment voyez-vous l’harmonisation financière en Europe ?
C’est un sujet complexe qui révèle certains paradoxes. Prenez l’exemple des comptes bancaires : théoriquement, un citoyen européen devrait pouvoir ouvrir un compte dans n’importe quel pays de l’Union européenne et l’utiliser au quotidien. Mais en pratique, beaucoup de commerçants refusent de mettre en place des prélèvements sur des comptes étrangers. Pourquoi ? Parce que si un client ne paie pas, le recouvrement transfrontalier reste très compliqué. La réglementation européenne fonctionne en « silos », ce qui crée des décalages entre les différents secteurs et freine l’harmonisation globale.
Pour résoudre ces problèmes, il faudrait une approche beaucoup plus transversale et holistique de l’harmonisation européenne. Mais cela nécessiterait des réformes profondes dans des domaines régaliens, ce qui prendra probablement encore des années, voire des décennies. En attendant, nous nous retrouvons dans cette situation paradoxale où les avancées technologiques et réglementaires dans le secteur bancaire se heurtent aux limites pratiques d’autres secteurs du droit.
Certaines fintechs se cassent particulièrement les dents en Europe. Pourquoi ?
Le plus grand défi que je constate chez les fintechs, c’est la sous-estimation systématique du poids réglementaire et juridique. Beaucoup d’entrepreneurs ont d’excellentes idées et les moyens de les mettre en œuvre, mais ils minimisent souvent le temps et les ressources nécessaires pour obtenir les agréments réglementaires. Cela peut créer des tensions de trésorerie importantes. D’autres fondent leur fintech sur la base d’un modèle d’affaires irréaliste car n’intégrant pas les coûts et les contraintes réglementaires. Lorsqu’ils s’en rendent compte – généralement à la suite d’une confrontation avec un superviseur tel que l’ACPR ou l’AMF – il n’est pas toujours possible de faire pivoter l’activité et de tendre vers la rentabilité imaginée au début de l’aventure. C’est pourquoi il est crucial d’avoir une vision globale dès le départ, incluant tous les aspects réglementaires.
En tant qu’investisseur, quelle stratégie adoptez-vous ?
Ma philosophie d’investissement est guidée par deux principes fondamentaux : investir dans ce que je comprends et optimiser mon temps. En tant qu’avocat exerçant dans le secteur financier, j’ai naturellement une affinité et une compréhension approfondie de ce domaine et des acteurs qui y évoluent. Je peux évaluer rapidement la pertinence d’un projet, identifier les obstacles réglementaires potentiels et comprendre les enjeux du marché.
À l’inverse, je m’abstiens délibérément d’investir dans des secteurs comme la santé ou la biotech, même si ces domaines peuvent présenter des opportunités attractives. Ce n’est pas par manque d’intérêt, mais parce que je n’ai pas l’expertise nécessaire pour évaluer correctement ces projets.
Ma stratégie d’investissement se décompose en deux volets distincts. Pour la partie la plus importante de mon patrimoine, j’adopte une approche très rationnelle et passive via des ETF. Je mets en place des versements mensuels réguliers, ce qui me permet de lisser les points d’entrée sur le marché. Cette stratégie demande très peu de temps de gestion et offre un excellent rapport rendement/temps investi.
Pour le reste de mes investissements, je me concentre sur des opportunités plus spécifiques, notamment dans l’écosystème bancaire et financier. C’est là que j’investis plus de temps dans l’analyse et la due diligence. Mais ce qui est fascinant dans le métier d’avocat d’affaires, c’est que l’on est amené à rencontrer énormément de gens, à tous les niveaux hiérarchiques des entreprises. Cela permet de repérer les profils qui se démarquent vraiment.
Cette approche m’a permis de constituer progressivement un portefeuille d’investissements cohérent. Et c’est un cercle vertueux : une fois que vous commencez à investir dans deux ou trois startups, le bouche-à-oreille fonctionne et d’autres opportunités se présentent naturellement. Le tout est de rester discipliné et de ne pas se disperser, en gardant toujours à l’esprit ses principes d’investissement initiaux.
Vous avez investi dans Caption, qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Ce qui m’a particulièrement attiré, c’est la personnalité de Lucas Mesquita (co-fondateur) que j’ai rencontré il y a quelques années, et sa vision holistique. L’idée initiale de créer un marché secondaire pour les actions des salariés de sociétés non cotées était déjà intéressante, mais j’ai surtout été impressionné par sa capacité à avoir une vision globale et à maîtriser tous les domaines indispensables à la création d’une entreprise ; il avait anticipé de nombreux relais de croissance et comprenait parfaitement les enjeux réglementaires. Tout cela en gardant une grande humilité ! Dans les investissements early stage, on investit certes dans une vision, mais surtout dans une personne et sa capacité à porter le projet. Je pense aujourd’hui que la complémentarité de l’équipe Caption peut les amener très loin.
Avez-vous des recommandations culturelles à partager ?
Je recommande vivement le film « The Big Short » (2015) sur la crise des subprimes, très bien documenté, même s’il plaira davantage aux personnes du secteur financier, malgré le gros effort de vulgarisation. Je conseille aussi « Margin call » (2011), qui évoque également la crise financière de 2008 mais par le prisme d’une banque d’investissement qui tente d’éviter la faillite en 36 heures. Côté littérature, « Mémoires d’un spéculateur » d’Edwin Lefèvre, écrit en 1923, reste un classique qui n’a pas pris une ride et offre une vision fascinante des marchés financiers du début du XXe siècle. Enfin, parce que je suis avocat, je me dois de conseiller la série juridique “The Good Wife” (2009 – 2016) qui est passionnante et a le mérite de respecter les règles de droit américain.
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